l'oeuvre d'art totale à la naissance des avant-gardes : 1908-1914

L'expression d'oeuvre d'art totale (Gesamtkunstwerk), issue du romantisme allemand, a fini par acquérir un sens qui déborde le cadre du drame lyrique wagnérien pour lequel elle a été forgée.
L'oeuvre d'art totale se définissait pour les symbolistes par l'abolition des frontières entre les arts (poésie, peinture, musique, danse, architecture) et le dépassement du cloisonnement des genres au moyen d'une fusion entre l'art et la vie. Avant d'être une catégorie esthétique, l'oeuvre d'art totale doit cependant être comprise comme la manifestation d'une utopie marquée par un rêve de totalité. L'utopie de l'oeuvre totale met en jeu les valeurs esthétiques généralement admises au début du XXe siècle qui envisageaient l'art comme une forme pure distinguant l'art de la vie. C'est ainsi que les artistes futuristes puis constructivistes ont procédé à un mouvement inverse conduisant à unir l'art et la vie. Des artistes tels que Kandinsky, Malévitch, Scriabine, Schönberg ou encore Russolo et Boccioni proposent alors de nouvelles métaphores formelles qui s'imposent comme autant de nouveaux paradigmes expressifs de la modernité. L'utopie est aussi celle de l'artiste total qui devient le démiurge absolu de son monde, à la fois poète et musicien, peintre et technicien dont la vue et l'ouïe, l'esprit et le corps sont finalement réconciliés. Mais l'utopie s'étend à une communauté totale de spectateurs qui annonce l'avènement d'une société nouvelle impliquant une anthropologie et une politique de la totalité. Pour ce faire, l'évolution allant du symbolisme à l'avant-garde a mis en jeu le rapport entre valeurs esthétiques et valeurs sociales donnant à la représentation artistique des possibilités jusque-là inédites et permettant à l'art de se réaliser en devenant un véritable acte social.