Accrocher les coins de la bouche au bord des oreilles

Cinq nouvelles contemporaines dans leurs sujets, leur écriture et leur ton, qui montrent à quel point la Chine traverse une période paradoxale, entre tradition et modernité.
Dongxi nous raconte tour à tour l'histoire d'un père qui ordonne à son fils de se marier et de faire un enfant, quitte à s'en charger lui-même... par le biais des rêves de la promise ; d'une journaliste qui promet monts et merveilles à ses copains qui l'ont sauvée d'un coma éthylique ; d'un vieil homme qui choisit de disparaître, effaré par ce que sont devenus ses enfants ; d'un chef de bureau dont la punition sera de découvrir qu'il a un fils... Quant à la nouvelle éponyme, elle relève carrément de « politique-fiction », un genre pour le moins inattendu dans la littérature chinoise. En effet (mais est-ce en Chine uniquement oe), à force de « progrès », l'individu vit dans une neutralité terrifiante, qui va de l'obligation d'être imberbe à l'interdiction d'aimer l'autre sexe et à l'oubli des manifestations personnelles et spontanées telles que le rire ! « Accrocher les coins de la bouche au bord des oreilles » - c'est comme cela que les Chinois décrivent le rire - à force d'interdits, a totalement disparu. Sauf pour grand-père Jiu qui lui, n'a pas tout à fait oublié ; un jour, il s'esclaffe. L'effroi dans lequel il plonge alors ses congénères le fait rire d'autant plus, jusqu'au jour où il convainc sa petite -fille d'essayer : « Viens t'asseoir à côté de moi. Je vais t'apprendre. En fait, c'est très simple, tu n'as qu'à étirer les coins de ta bouche, les accrocher au bord des oreilles, et tu y es. Je la serrai fort dans mes bras ; je la vis alors étirer peu à peu les coins de sa bouche, et pour la première fois apparut sur son visage un agréable sourire avec deux petites fossettes enivrantes. »